Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un champion du Monde. LOCO² a eu la chance d’installer Théo-Patrick Fourcade sur un local d’activités à Bouloc pour sa société BLUE SKIN DEVELOPMENT.
Recordman et champion du monde du 100m speed apnée, entrepreneur passionné à la tête de plusieurs marques dont YLON-A et BEWATERFREEDIVING, coach et instructeur AIDA spécialisé dans la technique de nage en monopalme,
rencontre avec un athlète hors du commun.
Bonjour Théo, comment est née ta passion pour l’apnée ? Qu’est ce qui t’as plu dans ce sport ?
J’aime à imaginer que l’engagement corporel dans un sport relève de significations fortes et parfois inconscientes qui expliquent qu’un sportif soit capable de s’engager passionnément. Ma motivation mon plaisir à moi c’est l’impression illusoire de pouvoir suspendre le temps et d’en être le maître l’espace d’un instant toujours trop court. Franchir la surface de l’eau, franchir une frontière, passer de l’autre coté du miroir, c’est comme entrer dans un autre monde où l’on laisse derrière soi les bruits de la ville. Puis il y a cette sensation de glisse dans l’élément aquatique qui vous entoure et vous soulage de la gravité. C’est comme entrer dans un rêve d’enfant où l’on a la possibilité de voler…. Et sinon… Plus simplement, j’ai vu le Grand Bleu une douzaine de fois ! ;)
Comment es-tu devenu champion du monde d’apnée speed ? Peux-tu nous dire quelques mots sur ta discipline ?
Je faisais partie de l’équipe de France nage avec palmes (ffessm - monopalme) et mes disciplines étaient le 50m apnée et le 100m immersion. Ces disciplines partagent beaucoup de points communs avec le 100m speed apnea. Quand cette course est apparue au programme des championnats du monde d’Apnée en 2013, il semblait évident que j’allais m’y confronter. Le 100m speed apnea consiste à nager le plus rapidement possible la distance de 100m avec une seule inspiration. Cette course désormais s’appelle le 2x50m speed apnea… Le règlement autorise aujourd’hui les athlètes qui en ont besoin à reprendre leur respiration à mi-course… Je dirais avec une voix tremblante due à mon grand âge que “c’était mieux avant !”.
Peux-tu nous raconter ce qui se passe sous l’eau ? À quel moment ressens-tu la privation d’air et comment tu la gères ?
La sensation à laquelle tu fais référence correspond au moment où tout ton corps veut respirer. Pour mieux comprendre, il faut préciser un peu ce qu’il se passe. Dans un cycle respiratoire il y a deux phases distinctes : l’inspiration et l’expiration. L’inspiration permet le renouvellement d’un volume d’air contenant de l’oxygène, et l’expiration permet l’évacuation du Co2 produit par le corps. Après avoir couru un 400m en athlétisme, vous êtes essoufflé. Vous n’êtes pas en manque d’oxygène ! Vous êtes en train d’évacuer à chaque expiration le Co2 qui s’est accumulé durant l’effort dans votre organisme. Bien sûr, le taux d’oxygène baisse durant une apnée longue, mais avant que vous ne deveniez réellement et dangereusement hypoxique (ce qui peut mener à une syncope), c’est le taux de Co2 qui en augmentant vous donne l’envie de respirer ou maintenant pourrait-on dire d’expirer. Cette envie peut-être brièvement contrôlée pour rester plus longtemps en apnée. En refusant volontairement d’expirer votre Co2 votre corps va alors tenter de vous forcer la main en contractant les muscles qui entrent en jeux dans le cycle respiratoire. On parle “d’avoir des contractions”. Lorsque vous faites une apnée longue, l’accumulation de Co2 met donc à rude épreuve votre mental qui doit lutter contre cette envie de respirer pour prolonger votre temps d’apnée. Le Co2 est un des paramètres limitant de la performance. Il sert aussi de sonnette d’alarme afin de vous rappeler qu’il est temps de refaire surface.
Comment fixes-tu tes limites ?
Les limites que l’on s’impose en apnée sont celles d’être en bonne santé pour pratiquer (avec une visite médicale en bonne et due forme) celle de ne jamais faire de l’apnée seul (ce qui implique des conditions de sécurité réunies pour palier à tous les risques répertoriés) et la dernière serait celle d’adapter votre performance à votre niveau de maîtrise technique : la performance doit être maîtrisée, il ne faut pas se surestimer. Si ces conditions ne sont pas réunies alors la pratique de l’apnée n’est pas possible. Il y a beaucoup de travail à l’entraînement pour produire une performance maîtrisée en apnée. Seules les épreuves dites de "speed/endurance" (2x50, 4x50 et 8x50 - disciplines CMAS) permettent en apnée de “forcer la performance”. Toutes les autres épreuves (statique, dynamique, poids constant) sont des épreuves maîtrisées. Dans ces disciplines, forcer la performance amènerait l’apnéiste à prendre de trop grands risques pour lui-même.Quel serait ton meilleur souvenir de compétition ?
Avec le temps les souvenirs de compétitions s’estompent, ce ne sont pas les plus marquants. Un de mes plus beaux souvenirs n’a rien à voir avec la compétition. Je me rappelle être en pleine mer, la surface de l’eau est incroyablement calme jusqu’à l’horizon. L’océan est lisse comme du marbre. Mon regard derrière mon masque se porte juste au dessus de la surface de l’eau à 1 ou 2 cm à peine. Le ciel est sombre, orageux... On sent la force de l’orage qui arrive, mais pas encore, pour l’instant tout est calme et silencieux. Puis d’un seul coup la pluie tombe... Je suis minuscule dans cette immense océan avec l’impression d’être à la meilleure place, au plus près de la nature, et des gouttes d’eau par milliers qui percutent la surface de l’eau. Je profite du spectacle un instant puis je me laisse couler et je passe de l’autre coté du miroir...
Selon toi, quelles sont les qualités nécessaires d’un bon apnéiste ?Pour être un bon Apnéiste, il faut laisser l’ego de côté, accepter d’avoir des limites. Il faut mettre au dessus de tout sa sécurité et celle de son ou de ses partenaires. Il faut être rigoureux dans sa préparation et dans sa pratique. En milieu naturel, Il faut respecter la faune, la flore, ne rien déranger ne laisser aucune trace de son passage. Il faut être un visiteur discret et respectueux.
Depuis ton retour en France et toutes ces années de pratique intense de l’apnée sportive, tu es devenu instructeur AIDA (Association Internationale pour le Développement de l'Apnée) et a rédigé un guide technique sur l’usage de la monopalme, une belle consécration. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai eu la chance d’être contacté par AIDA INTERNATIONAL pour créer les manuels AIDA MONOFIN SERIE. Ce sont donc 3 manuels qui permettent dans un premier temps de s’initier, puis de se perfectionner à la technique de nage avec une monopalme, pour se spécialiser enfin dans une des deux disciplines le DYN* et/ou le CWT**. (DYN* ou dynamique : parcourir horizontalement la plus grande distance possible en apnée avec palmes. CWT** ou constant weight : descendre avec des palmes à une profondeur préalablement annoncée puis remonter et faire surface).
Les cours que j’ai créé sont progressifs tant dans l’apprentissage de la théorie que dans la pratique des exercices.
Les apnéistes n’ont, pour la plupart, pas accès à un club pour pratiquer la nage avec monopalme. Mes manuels sont là pour les aider à comprendre la technique de nage, ce qui leur permettra de performer avec une meilleure maîtrise technique, et donc, avec une meilleure maîtrise de leur performance. La sécurité d’une plongée passe aussi par la maîtrise technique.Comment vois-tu ton avenir sur le plan sportif ?
Apres quelques années consacrées à mes projets professionnels en Asie, je reviens à Toulouse. J’ai repris la route de la piscine où j’ai retrouvé mon club et mon coach. J’ai plaisir à nager de nouveau. Reprendre la compétition ? Je crois que j’aime juste m’entraîner... très sérieusement.